Chère Élise,
J'en ai assez, comme tout le monde ! Sauf que moi, j'ai une bonne raison.
Je n'ai plus de carburant, je suis tombé en rade tandis que j'allais vous rejoindre car, fin de saison oblige, vous m'aviez promis un baiser, et plus si GHB (Guillaume Haubois' Business). Et je me retrouve là à souffrir la pine en rut... la pénurie abrupte, à la pompe, en regardant défiler les campings-cars de nos retraités - on ne sait jamais, s'il y a la guerre civile, il faudra émigrer : autant emporter la télé !
À la vue pénible de cette panne sèche (il n'y a pas de contrepèterie, ne cherchez pas... Il ne manque pas grand chose, mais ce n'en est pas une), j'ai voulu pour vous plaire encore d'avantage, vous envoyer un sms, pourquoi pas pré-écrit, pour être à la pointe du romantisme moderne, mais mon portable m'a lâché et je n'ai pas pu le faire réparer car la boutique de mon opérateur téléphonique a été saccagée par des manifestants : ces chiens, ils ont tout cassé chez Sosh !
J'ai envie de pleurer, vous savez, mais je résiste, j'ai du clito pour reprendre une expression en vogue du langage féministe qui vaut toujours mieux que le langage journalistique.
Mon tendre amour, comme vous avez eu raison de vous désabonner, tant du câble que du papier plus ou moins glacé, leurs manèges et leurs titres à sensation me donnent envie de gerber. Ces formules toutes faites empreintes d'angoisse, cet universalisme freudien qui consiste à coller à tous les citoyens leurs propres névroses et leurs désirs malsains. Quand ils nous disent que la France est en déclin, en incapacité d'aller de l'avant, de reconnaître ses erreurs, qu'elle se contente de pleurer sur sa gloire passée... se rendent-ils compte qu'ils nous parlent, en vérité, de leur profession ? Affolés par la concurrence des nouveaux moyens d'information, ils se complaisent dans la morbidité, celle qui fait vendre, et vont, comme Frankenstein, à coup de tonnerre, créer de toute pièce une créature transgenre, de tous les partis, de tous les culots, Emmanuel Macron, l'homme qui payait ses costards, héros de leur microcosme que la population réelle ignore ou conspue.
La palme de la rengaine abrutie revient bien évidemment à BFM Teubé et à cette cagole inconnue qui a eu ses diplômes avec mensurations, nous annonçant l'autre jour qu'à cause du blocage des raffineries, la France a dû puiser dans ses réserves stratégiques... une première, depuis 2010 ! Volonté évidente d'inquiéter sur le début, bel effort de mise en perspective historique sur la fin (historique, pour un journaliste actuel, cela signifie : il y a plus de trois semaines), mais l'essai est raté manifestement. Néanmoins, il suffira de le passer en boucle pour en faire un tube, persistant dans nos cervelles de moineaux.
Pour ne pas voir leur propre décrépitude, les média de masse, à grands renforts de spécialistes et de chroniqueurs, prédisent le crépuscule et président au dénigrement du politique : les français n'en peuvent plus, nous assistons à une véritable désillusion envers la classe politique. Ça sonne tellement vrai qu'une radio, pourtant sérieuse, comme Prun' en a fait le thème d'une émission. Mais il n'y a rien de plus faux.
Au contraire, l'illusion est parfaite et nous en sommes pleinement heureux, en tout cas complices ! L'Union européenne est absente de tous les débats et cela arrange tout le monde de croire que le traité de Maastricht n'était qu'un détail de l'Histoire, que la France est un pays souverain, que nos dirigeants sont omnipotents et peuvent influer sur l'économie du pays. Les syndicalistes eux-même sont trop contents d'avoir des têtes de turc bien de chez nous et d'investir la place de la Nation, parce que Bruxelles c'est bien loin, il faut y aller en train, ils sont souvent en grève - et allez retenir les noms des dirigeants européens ! Alors ils se rabattent sur nos politiques nationaux, même s'ils savent que leur marge de manœuvre est si faible qu'ils passeront bien évidemment pour des incompétents, ce pourquoi ils sont payés grassement, et nous, nous ferons toujours mine de nous en offusquer parce qu'au fond de nos cœurs, l'Europe nous fait peur et nous préférons, politiques, journalistes, manifestants, simples d'esprits l'oublier et maintenir les façades de nos vieilles institutions.
N'allez pas croire que je suis un eurosceptique, au contraire, je suis assez satisfait que nos destins soient gérés loin du tumulte par des hommes que j'aime imaginer éclairés, puisque après tout je ne les connais pas.
N'allez pas non plus m'accuser par mes propos de faire monter le Front National, illusion là encore, car le Front National n'est jamais monté, ce sont tous les autres qui sont descendus à son niveau. Rappelez-vous, du temps du téléphone à cadran, Jean-Marie Le Pen, par des petites phrases assassines ou faussement maladroites, occupait l'espace publique pour une semaine ou deux de polémique. N'est-ce pas là, la définition d'un Tweet ?
Voili, voilou, voilà.
Et mes sentiments pour vous, ne sont-ils pas illusoires ? Vous-même, parfaite Élise, n'êtes-vous pas qu'un personnage de fiction ? Interprété jadis par mon véritable amour et néanmoins épouse, Nathanaëlle, avant elle par Charlène Dambreville qui tousse encore sur cette antenne, mais la première qui vous a prêté sa voix, malheureusement éteinte à jamais, était Lucie Bouzigues, une journaliste qui n'a pas eu le temps de sombrer dans la médiocrité de son métier, et c'est bien dommage. Elle demeurera l'illusion d'une belle jeunesse pour l'éternité, cependant que nous aurons l'illusion de nous assagir, sur un caillou dérivant dans l'univers, que certains appellent bêtement et pompeusement la Terre, illusion d'importance et de grandeur, nos esprits torturés se tueront à exprimer ce que l'on imagine être notre personnalité, influx nerveux et électriques aléatoires qui nous donnent l'illusion suprême de penser, de choisir, d'inventer, de s'aimer. Et sans les virgules, cela donne : choisir d'inventer de s'aimer. Voilà pourquoi je vous aime Élise et j'espère qu'un jour, vous m'aimerez aussi.